mercredi 16 octobre 2013

Un nu d'il y a longtemps.

En cinquante ans de carrière, si j'avais gardé toutes mes toiles, il me faudrait au moins une autre maison équivalente à celle que j'occupe déjà pour stocker tous mes travaux. Parfois, je regrette d'avoir dû me séparer de certaines, surtout sans les avoir prises en photo avant, même si je les ai vendues, même si je sais que là où elles sont, elles sont appréciées à leur juste valeur. 
Et puis, de temps en temps, en fouillant dans mes cartons - vous savez, ceux qui traversent les déménagements sans être quasiment ouverts, parce que votre vie est telle que, temporairement, vous préférez en garder certains fermés - je retrouve une toile, un dessin, une étude, que j'ai aimé faire, et que je conserve en souvenir, ou pour m'en servir comme modèle. 


Cette toile, redécouverte récemment, a suscité l'admiration du fiancé de ma fille (quel adorable garçon). Ce n'était pas tellement le travail anatomique qui importait ici, mais bien plutôt le travail de la matière. 
Autant je peux travailler une peinture très fluide, avec des pinceaux minuscules, et faire un travail de dentellière délicate, autant j'aime beaucoup le travail de la matière: peindre au couteau, avec des pinceaux épais, prendre la peinture directement au sortir du tube ou peindre au doigt comme je l'ai peaufiné avec Jo Meilard lorsque j'habitais à Camaret-sur-Mer, voilà qui me plait. 
J'ai toujours été bien consciente que la peinture est un art visuel. Mais il m'a toujours semblé un peu injuste d'en priver ceux dont la vision faisait défaut. Je suis très myope, mais mon regard s'y est adapté au fil des années et je le considère désormais comme un atout. 
Quand mon gendre me dit qu'il est daltonien, je suis toujours curieuse de savoir ce qu'il voit (plutôt que de lui signaler ce qu'il ne voit pas), parce que pour moi, ce n'est pas un défaut de l'oeil: c'est une chance inestimable de voir différemment des autres. 
Aussi, j'ai toujours apprécié les initiatives qui consistent à rendre une image "visible" pour les non-voyants, par le biais du toucher. Cette toile était un peu dans cette optique là: elle n'est pas seulement faite pour être vue, elle peut être touchée aussi. 
Les mélanges de sables qui font le fond, et les ombres, ont été préparés de façon à être suffisamment solides pour être manipulés, et la texture change en fonction de l'endroit. Touchez le tableau (pas l'écran, hein), et vous ne sentirez pas la même chose sous vos doigts en longeant les ombres ou en suivant les courbes du personnage central.

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